De Matt Ross, 2016.
A mi-chemin entre le feel-good movie et le film anti-système, Captain Fantastic reprend les codes du cinéma indépendant US intelligent, dans la droite descendance de Juno ou encore de Little Miss Sunshine. L’ironie douce qui se dégage de tous ces personnages, leur joie de vivre face à un évènement malheureux (qui, en plus de créer du pathos, crée un moteur scénaristique) met du baume au cœur.
Acteur habitué aux seconds rôles, Matt Ross a bien fait de passer à la réalisation et de choisir le toujours excellent Viggo Mortensen dans le rôle-titre. Formaté pour Sundance, le film a également été présenté à Canne et a remporté quelques titres à Deauville. Bref, beau parcours. Est-ce que le film est à la hauteur de sa réputation ? En un mot comme en cent : oui. Pour peu que l’on est un peu sensible aux thématiques de l’enseignement, de la contre-culture (ou, pour être plus précis, de la culture anti-système) ou des habitudes idiotes de la société de consommation, cette comédie douce-amère offre un super moment.
Sans se montrer moralisateur ou sentencieux, le film pose une série de (bonnes) questions. Au-delà des questions évidentes (peut-on vivre en dehors du système ? peut-on éduquer soi-même ses enfants sans leur permettre de se confronter à des pairs ? etc.), il y a là quelques débats sous-jacents intéressants. Une des questions essentielles soulevées par le film, pour moi, est de connaître la juste mesure dans laquelle on accepte une certaine dose de malheur, de tristesse, mais aussi de déviance sociale, au profit d’une intelligence, d’une réflexion, d’une culture plus grande.
Ben (Viggo) élève en effet ses six enfants dans les bois, leur imposant un régime strict d’exercices physiques et mentaux qui en font des enfants-philosophes-rois (ou des singes pensants, diront les mauvaises langues). Et le suicide de leur mère, atteinte de problèmes psychiatriques graves, oblige la petite famille à se confronter au monde réel.
Film à thèse ? Cela aurait pu. Mais, intelligemment, le film reste une comédie. Chomsky y remplace le père Noël, la religion chrétienne sert de repoussoir aux forces de l’ordre, etc. Et si certaines positions sont parfois antinomique (éduqués comme des enfants sauvages, aucun des enfants ne semble s’offusquer d’utiliser un vieux bus qui consomme des énergies fossiles sans doute avec excès pour un road-trip qui leur fait traverser les USA du Nord au Sud), le scénar a l’intelligence de mettre en avant les doutes du père sur les choix qui sont faits, doutes lourdement martelés par la belle-famille de Ben et par sa propre famille. Et l’intelligence, toujours, de ne pas répondre à ces doutes. La fin est d’ailleurs un compromis entre les valeurs prônées et la nécessaire adéquation au monde qui les entoure.
Le personnage de Bodevan (joué par le bon George MacKay) l’aîné de la fratrie, est révélateur de cet équilibre. Manifestement mal préparé à la gent féminine, on ne peut que s’étonner de constater qu’il n’a pas en lui une révolte plus grande, comme celle que son petit frère exprime. Partagé entre la fascination de son père et le compromis de sa mère (qui l’inscrit aux concours d’entrée des grandes unifs américaines), il est un bon soldat et le reste jusqu’au bout de son propre chemin. Quoi de plus logique, en effet, que d’aller devenir un « véritable adulte » avec un sac à dos sur le dos en partant à l’aventure seul en Namibie. Hipsters, you’re welcome.
Mais, pour revenir à l’expérience d’ensemble, Captain Fantastic reste une très sympathique comédie indépendante, nettement plus intelligente que la majorité des comédies américaines traditionnelles. On rit, on est accroché et, avec un peu de chance, on en ressort un peu plus intelligent nous-même. Que demandez de plus ? Simple, une reprise qui tue sur la BO. Et vous l’avez, avec toute la gentille famille anti-système qui entame a capella avec une guitare sèche la chanson préférée de feu leur mère. Un gentil petit titre indépendant… Sweet Child O Mine. 🙂