De John Connolly, 2006.
Attiré par la couverture sombre de Renaud Bec, j’ai pris ce bouquin un peu par hasard dans ma PAL. John Connolly, auteur Irlandais spécialiste du polar, ne m’était pas familier. Le livre des choses perdues semble être sa première (et sa seule, à cette date) incursion dans le fantastique et j’étais passé totalement à côté. La 4ème de couverture nous résume les premiers chapitres : David est un petit londonien de 12 ans lambda au début des années 1940. Il perd sa mère, de maladie, puisque les routines qu’il a mis en place ne suffisent pas à la sauver (pense-t-il). Il se retrouve seul avec son père, puis, bientôt, avec une belle-mère et un demi-frère qu’il déteste. Alors que Londres subit le blitz, David emménage chez sa belle-mère et son père se fait de plus en plus absent (il travaille pour les services de renseignements anglais et tente de déchiffrer les codes utilisés par les allemands).
Il est donc seul, une grande partie de la journée, dans une maison qui lui est étrangère avec une belle-famille qu’il n’accepte pas. Il se réfugie dans les livres, les siens et ceux du grand-oncle de sa belle-mère, qui a disparu étant jeune (David a hérité de sa chambre sous les combles). Petit à petit, David se met à entendre le livres parler. Il est également attiré par un « jardin creux » dans le parc attenant à la maison/manoir de sa belle-mère. Il croit entendre sa mère qui l’appelle, le prie de le sauver. Et il voit dans les ombres une silhouette étrange, un petit homme biscornu avec un chapeau tordu. Et qu’il bascule définitivement de l’autre côté, dans le pays des contes, à la recherche de sa mère décédée…
Bon, je vous ai résumé un peu plus que la 4ème, pour finir, mais vous comprenez l’idée. Encore un récit à la Narnia, m’étais-je dit. Et bien que nenni ! Le livre des choses perdues, s’il fonctionne sur le principe classique d’un personnage principal qui est projeté dans un univers onirique/fantastique/de contes (à la manière d’Alice aux pays des merveilles, de Narnia, donc, de l’Histoire sans fin, etc.) et que ce protagoniste principal est bien un enfant, le bouquin n’est en aucun cas un livre pour enfant. Nous sommes plutôt du côté des contes sombres, de ceux qui forcent à grandir rapidement si l’on compte rester en vie jusqu’à la fin de l’histoire.
Connolly parasite son récit fantastique de scènes très sombres, où le sang coule et où les horreurs sont relativement explicites. Loin de Disney, Connolly revient aux fondamentaux des frères Grimm ou d’Andersen : ici, les sorcières mangent les enfants. Littéralement. Dans le désordre, Connolly fait appel au Petit chaperon rouge, à Blanche-Neige et à la Belle aux bois dormant pour peupler son récit de créatures fantastiques et dangereuses. A titre d’exemple, sur la manière dont l’auteur exploite le matériau d’origine, le petit chaperon rouge est ici une séductrice qui piège un loup dans ses rets et engendre les premiers loups-garous (qui sont des êtres pathétiques d’ambition, mais mortellement dangereux dans le bouquin). Le pauvre David verra ses alliés tomber comme des mouches et devra développer des trésors d’ingéniosité pour ne pas finir couper en morceau par une chasseuse psychopathe qui « fabrique » des demi-humains pour son plaisir de chasse (à la manière des monstres de l’Île du Dr Moreau). La violence, les sous-textes sexuels et les tortures diverses sont au rendez-vous.
Le livre des choses perdues est donc un coming-of-age story (à l’instar de L’étrange vie de Nobody Owens, commenté récemment dans ces colonnes) qui se sert d’un monde fantastique et dangereux pour faire grandir son héros. Mais pas de mariage avec une jolie princesse à la clé, ici, seulement la réalisation que la vie n’est jamais simple. Qu’elle n’est pas divisée entre blanc et noir, mais bien en nuances de gris (quoi que certains personnages soient ici très très très noirs… La palme étant remportée par l’Homme Biscornu, le méchant du livre, qui est vraiment monstreux) Le livre se dévore en quelques heures, le schéma narratif de la quête initiatiques divisées en épisodes successifs (le héros se rend du point a au point b, fait connaissance de z et récupère l’objet y qui sera nécessaire au chapitre suivant), très classique et respecté ici à la lettre, est malgré sa linéarité très efficace pour nous pousser à aller de l’avant. Connolly a une plume fluide, sans effet fioritures ou effets de style, et va à l’essentiel pour nous emmener dans son récit. On en vit chaque minute dès que David met un pied « de l’autre côté du miroir« .
En cela, le bouquin m’a rappelé Faërie de Raymond E. Feist, pour le côté dangereux du bestiaire qu’il développe. Le livre des choses perdues est cependant un cran au-dessus, car le message qu’il délivre est clairement à la hauteur de mes espérances de lecteur. Si le résumé nous rappelle Narnia et ses clones, Le livre des choses perdues transcende son modèle pour nous offrir une œuvre forte, dure et marquante. Je ne l’oublierais pas de sitôt.
PS : seul mystère pour moi, le changement de ton total du passage inspiré par Blanche-Neige, où Connolly verse dans la parodie et prête aux sept nains un discours anarcho-communiste drolatique et décalé. Si en soit cela fonctionne, c’est tellement en rupture de ton avec tout le reste du bouquin (qui n’est vraiment pas, mais alors vraiment pas drôle) que ça m’a presque fait sortir du livre. Si cela vous fait cet effet là également, persévérez : ce n’est qu’un bref passage (qu’un éditeur un peu réveillé aurait dû virer de là, soyons honnête).