De Kurt Wimmer, 2002.
Souvent classé dans les très bons films oubliés, Equilibrium a, depuis son four en salle, gagné de nombreux aficionados dans sa carrière DVD/BluRay/On-Demand. Lorsqu’il l’a réalisé, Kurt Wimmer n’était alors qu’un relatif inconnu. Il n’avait dirigé que le très méconnu One Tough Bastard (tout un programme), dont il avait cependant été viré à la moitié de la production. C’était donc un pari assez invraisemblable, début 2000, pour Dimension Film, d’accepter de produire, il est vrai pour un budget relativement modeste (20 millions de dollars), un dystopie SF assez sombre et violente portée par un homme qui n’avait jusque-là pas fait ses preuves (Wimmer réalise, mais c’est également lui l’unique scénariste du film). Comment ce fait-ce (et non cette fesse), me direz-vous ? Et bien tout simplement parce que les studios étaient à la recherche du nouveau Matrix et d’un hold-up sur le box-office similaire à celui que les frères (alors)/sœurs (maintenant) Wachowski avaient réalisés en 1999. Mouais.
De quoi ça parle, en gros ? Eh bien, pour les fans de SF que je vous soupçonne d’être, ce n’est pas bien compliqué. Equilibrium est un hommage très appuyé au THX 1138 de Georges Lucas, lui-même hommage très inspiré du Meilleur des Mondes de Huxley (et de 1984 d’Orwell – ou encore de Nous autres de Zamiatine – et je suis sûr que la dernière référence est plus obscure, hein, hein ? 🙂 ). Bref, une dystopie futuriste classique. John Preston (Christian Bale) est un ecclésiaste du Tetra-Grammaton, un ordre religieux/milice privée du dictateur qui règne sans partage sur cette Terre post-apocalyptique. Depuis la troisième guerre (nucléaire) mondiale, l’humanité a compris que son salut viendrait de la suppression des émotions. Pour ce faire, nous sommes tous obligés de prendre nos doses quotidiennes de Prozium, qui inhibent nos sentiments et nous transforme en gentils zombis inoffensifs. Et les ecclésiastes sont là pour veiller au grain. Surentrainé à l’art du Gun-Kata, une forme d’art martial où le combattant virevolte avec une économie de mouvements pour éviter les trajectoires des ripostes, ce sont de véritables machines à tuer.
Et tout va bien jusqu’à ce que le partenaire de Preston (joué par un Sean Bean qui meurt évidemment au bout de quelques minutes, puisque Sean Bean meurt toujours dans les films !), qui a décidé d’arrêter de prendre ses médocs, sème le doute dans l’esprit de son coéquipier alors que celui-ci l’abat de sang-froid. S’en suit l’histoire classique de la prise de conscience et de la rébellion contre le système en place, trame extrêmement classique pour tout amateur de SF un peu éveillé.
Du coup, son statut de film « culte« , de classique ignoré, m’échappe un peu… Ok le film est relativement maitrisé. Wimmer, malgré des moyens limités, parvient à reconstruire un monde de demain froid et monochrome qui tient la route. L’esthétisme est bien maîtrisé, tout comme les costumes des différents protagonistes, à mi-chemin entre THX1138 et Matrix (pour le côté cuir). Les performances d’acteurs sont remarquables. Bale, comme a son habitude, développe un charisme incroyable malgré l’extrême froideur de son personnage. Les seconds rôles jouent également très juste : Taye Diggs joue un ecclésiaste souriant, ce qui le rend encore plus inquiétant que Preston/Bale; Emily Watson, en victime sacrificielle, est parfaite pour le rôle ; Angus Macfadyen campe un dictateur tout à fait crédible et William Fichtner promène sa tête de chien battu avec brio. Rien à redire niveau casting, donc.
Le film accuse un peu son âge côté technique, avec de incrustations qui ont mal vieillies (notamment et bizarrement dans les transitions entre décors réels et mate paintings). De même, les scènes de fusillade, qui furent visiblement appréciées à la sortie du film pour « leur chorégraphie audacieuse » frisent le ridicule aujourd’hui. Le film est quand même sorti trois ans après Matrix et il n’y a clairement pas photo entre les deux. Dans le montage, le film ose de belles choses, avec quelques montages qui accélèrent intelligemment des parties d’exposition plus longue et certainement inutiles. Cela permet de garder un rythme dans le film et de ce centrer sur son esthétisme et sur son histoire.
Et c’est là que les romains s’empoignèrent. Je n’ai rien contre une histoire balisée, de temps à autre, mais je ne saisis pas en quoi le scénar vaut vraiment le coup. Les développements scénaristiques sont tellement clichés pour l’amateur de SF lambda que l’on n’est littéralement jamais surpris. Equilibrium ne fait d’ailleurs pas l’épargne de quelques facilités qui me laisse perplexe : le passage où Preston sauve un chiot des mains de ses anciens collègues, par exemple, me semble verser dans le pathos facile de manière tellement éhontée que je me demande bien quel scénariste oserait encore faire ce genre de scène dans un film respectable… Les rebondissements n’en sont donc pas et le film avance gentiment vers une fin attendue et convenue.
Comprenez-moi : Equilibrium n’est pas un mauvais film. Loin de là. On sent que Wimmer y a mis ses tripes, parfois naïvement, et qu’il a essayé de faire du mieux qu’il pouvait dans les limites de son budget. En soit, c’est déjà remarquable. Mais son statut de « classique ignoré » me semble totalement usurpé. Son histoire est tellement convenue (nettement plus que celle de son modèle, THX 1138, au passage) qu’on peut au plus le considérer comme une série B très classe et particulièrement bien servie par des acteurs talentueux. Mais pas au-delà de ça. D’où mon incompréhension et mon jugement peut-être un peu sévère.