De Rian Johnson, 2019.
Avant d’être universellement détesté par la communauté mondiale des geeks en tout genre pour l’épisode 8 de la saga Star Wars, Rian Johnson fut adulé par la même communauté pour son très malin petit film d’anticipation Looper (2012). Et, dans les deux cas de figure, Johnson a réalisé le film, mais en a aussi signé seul le scénario. Et c’est encore le cas avec Knives Out (sorti sous le nom de A couteaux tirés sous nos latitudes). Inutile donc de dire que les attentes étaient mitigées sur ce qui nous était vendu comme un whodunit à l’ancienne, façon Agatha Christie ou Simenon. Le bande d’annonce et le casting mirent en émoi une partie des cinéphiles qui voyaient d’un bon œil le retour de Rian Jonhson sur un film moins ambitieux où les personnages et l’histoire pouvaient être exploité sans la pression d’un gigantesque studio et d’une franchise où l’erreur (et la créativité ?) n’est pas autorisée sur le dos. L’autre partie des cinéphiles ne lui avait pas pardonné, et ne lui ont toujours pas pardonné d’ailleurs, cet énorme pied-de-nez (certains iraient même jusqu’à dire doigt d’honneur) que fut The Last Jedi.
Personnellement, je me fiche un peu de ces débats d’église. Et si je considère en effet que The Last Jedi est un film bourré de défauts et qu’il n’a fait que confirmer le déclin de la saga Star Wars déjà enclenché avec le précédent opus de J.J. Abrams, cela ne m’empêche pas de lui reconnaître une certaine faconde technique et plus d’ambition scénaristiques que The Force Awakens. Du coup, j’étais curieux de voir ce que pouvait réaliser et raconter son nouveau long métrage, maintenant que la bashing/hate propre à la culture internet était un peu passé au second plan. Et puis, j’aime bien les films de détective.
Car Knives Out est réellement un hommage au genre du policier. Pas le thriller moderne ou au film de flic, mais bien au film de détective, comme au bon vieux temps. Et Knives Out tient presque toutes ses promesses quand on tient cela en compte. Servi par un casting excellent, sur lequel je reviendrais, le film nous narre l’histoire d’une succession qui dérape. Au lendemain de son 85e anniversaire, le romancier à succès Harlan Thrombey, grand spécialiste du roman policier et joué par un excellent Christopher Plummer, toujours bon pied bon œil, est retrouvé mort dans sa mansarde. Un suicide. Un suicide, réellement ? Car il apparaît bien vite que les enfants, beaux-enfants et petits-enfants du romancier ont tous des choses à cacher. Il ne faudra pas longtemps au détective Benoit Blanc pour jeter la lumière sur ces secrets de famille, sans pour autant trouver le coupable de ce qu’il pense être un meurtre.
Et pour Blanc, joué par un Daniel Craig qui s’amuse visiblement à l’écran en exagérant le côté un peu crétin de son personnage à l’accent aussi improbable qu’indéfinissable, seule la brave infirmière personnelle de l’écrivain décédé peut l’aider à démêler ce sac de nœuds, en raison de son incapacité physique à mentir. Cette dernière se met effectivement à vomir dès qu’elle est amenée à travestir la réalité ! Ce qui est évidemment bien pratique pour déceler la vérité dans ce carnaval de mensonges et de mesquineries.
Servi par un casting d’enfer, comme je le disais, Knives out offre des rôles et des performances amusantes à nombre d’acteurs chevronnés. Dans les héritiers potentiels, on ne croise nuls autres que Jamie Lee Curtis, Michael Shanon, Toni Colette ou encore Chris Evans. Et Rian Johnson, comme le genre extrêmement codé dans lequel il opère ici l’exige, de les présenter tour à tour comme des suspects potentiels. Bien sûr, ils sont parfois réduits à des traits de caractères ou à un « rôle » limité (l’emphase étant nécessaire, puisque le film joue aussi sur ce côté mise en abime : il sait que le spectateur sait qu’il regarde un film de détective et s’attend donc à certaines conventions liées au canon du genre). Forcément. L’idée n’est pas ici de signé un drame ou une comédie. Encore moins une étude de personnage. Seule l’infirmière, jouée par Ana de Armas, a réellement droit à un développement de personnage. Et c’est assez normal, puisqu’elle est finalement l’unique héroïne du film (si l’on écarte le Détective Benoît Blanc, lui aussi limité par l’archétype qu’il incarne).
Et, eu égard à tout ceci, il nous reste en fait un bon petit film de détective, de huis-clos à énigme. Le rythme est bon, la directrice artistique excessive et parodique, mais très efficace, le montage moderne et tenant ses promesses. Knives out est donc une partie de Cluedo tournée avec entrain par un Rian Johnson qui fait ce qu’il sait faire de mieux : servir une idée, un genre avec un talent certain pour la mise en scène. Servi par des performances d’acteurs irréprochables (Toni Colette et Daniel Craig sortent réellement du lot), il évite le piège d’un développement trop long ou d’un exposé un peu statique comme on peut les rencontrer trop souvent dans le roman policier. Pourtant il y a malgré tout un bémol, et de taille : le film est finalement trop simple. Bien sûr qu’il y a un twist final pour révéler qui est le coupable. L’ennui c’est qu’en tant que bon spectateur post-moderne que nous sommes, un seul twist ne nous suffit plus. Johnson ayant fait le choix d’un scénario original (contrairement à Kenneth Branagh, par exemple, avec l’excellente adaptation du Crime de l’Orient Express qu’il avait signé il y a quelques années dans un genre très similaire), il n’aurait pas du se restreindre à un retournement de situation finalement aussi simple.
C’est ce point précis qui fait pour moi de Knives out un film qui passe légèrement à côté de son propos et qui en réduit un peu la portée de l’hommage. Je ne me suis nullement ennuyé lors de sa vision. Au contraire, j’ai même ris aux quelques exagérations que Johnson insère çà et là pour rappeler au spectateur qu’il est bien dans un jeu où le propos n’est jamais dramatique. Mais je n’ai pu m’empêcher de conclure l’expérience par un « Ah oui, d’accord, c’est cela le twist. Bon. Ok. Qu’est-ce que j’ai d’autre à rattraper comme film en stock ? » En d’autres termes, même si c’est formellement réussi et agréable à regarder, cela ne marquera en aucun cas l’histoire du cinéma. Ni même du genre. Dommage.