De David A. Weiner, 2019
Un peu plus de quatre heures de frissons intenses ! Frissons de peur et de plaisir. Voilà ce que nous offre David A. Weiner avec son documentaire In Search of Darkness. Né d’un projet comme seul l’ère Internet a su rendre possible, cet essai érudit sur le cinéma d’horreur des années 80 est le résultat d’une campagne de financement participative initialement lancée sur Kickstarter. Financé en deux jours, ce projet d’amoureux du cinéma de genre a récolté 100 K$ sur la plateforme initiale et 250 K$ supplémentaires sur Indiegogo par la suite (cette seconde plateforme servant souvent de relais à des campagnes financées sur la première, afin d’augmenter la cagnotte et offrir donc un peu plus de marge aux créateurs).
Et c’est là qu’on voit qu’une fanbase de geek existe bel et bien sur les plateformes de financement participatif. Et que le geek est effectivement devenu roi au tournant des années 2000. On –car je m’inclus dans la catégorie, bien sûr- est devenu la middle-class qui a les moyens de financer ses passions. Et là où nos parents rêvaient d’un coupé-sport ou d’une villa à la mer, nous sommes plus enclins à financer ce genre de projet qui surfent à fond sur la nostalgie et la culture « alternative« . Enfin, la culture qui était alternative, puisqu’elle est aujourd’hui dominante. Et c’est tant mieux si cela permet à ce genre d’œuvre de voir le jour.
Il est sans doute impossible de citer dans ces critiques l’ensemble des films dont il est question dans In Search of Darkness. Ils y sont sans doute tous (ou, en tous les cas, tous ceux qui nous ont marqué dans notre jeunesse). Le documentaire est intelligemment construit en années et en thématique. Après un chapitre consacré aux films sortis en 1980, on aura donc droit à un chapitre plus court sur l’art du makeup dans les films de monstres, ou encore sur le lien entre sexe et films d’horreur, avant de revenir à un chapitre plus systématique sur les films sortis en 1981. Et ainsi de suite. Et, comme je le disais, l’approche permet de vraiment faire un tour complet du cinéma d’horreur des années 80, en évoquant tant Les Griffes de la Nuit, Vendredi 13 et The Thing que les improbables suites de Psychose, The Blob ou bien sûr Chuky.
La décennie est encore aujourd’hui considérée comme un âge d’or pour le film d’horreur, puisqu’elle s’ouvre en puissance, auréolée du récent succès du premier Halloween, le premier véritable slasher de l’histoire du cinéma. Fort de ce succès, des cinéastes comme John Carpenter, Joe Dante ou encore Sam Raimi vont égrené leurs films de génie tout au long de la décennie pour véritablement construire un « genre », une recette, qui allie le gore, les blagues potaches et une inventivité et une débrouillardise à toute épreuve. La décennie donnera également des perles baroques comme le premier Hellraiser de Clive Barker ou encore La Mouche de Cronenberg, où l’horrible est finalement plus l’homme que le monstre.
David A. Weiner, journaliste spécialisé dans le cinéma depuis des années, signe ici un documentaire classique dans sa forme (les extraits des films cités s’enchaînent avec des interviews de différents acteurs, réalisateurs ou producteurs de l’époque), mais passionnant dans son propos. Il offre, à travers des interviews bien préparées et pensées intelligemment, une vraie trame narrative à son documentaire, où l’on voit progressivement se dessiner l’évolution d’un genre jusqu’à la création de canons qui seront tournés en ridicule dans les années 90 avant de prendre un virage plus sobre et moins gore dans les années 2000 (à l’exception des tortures-porn façon Hostel ou Saw). Et force est de constater, comme Weiner le fait, que les années 80 contiennent parfois en embryon tout ce que deviendra le genre dans les 30 années suivantes, avant malheureusement moins de brio ou d’éclat.
Car au-delà de la fameuse madeleine de Proust, il faut tout de même se demander si la décennie des années 80 n’était pas réellement un âge d’or pour le cinéma américain (j’ai oublié de préciser que Weiner ne s’intéresse qu’au cinéma d’horreur américain dans son reportage, sans ce que cela soit vraiment dérangeant par ailleurs). Au-delà du genre de l’horreur, c’est aussi la décennie des films d’actions qui ont établis les codes du genre, des films de comédie dont les tropes sont encore d’actualité (les buddy movies) ou même des films de SF. Les nouveaux « classiques » sont tous issus de cette décennie qui brisait le classicisme du cinéma des années 50 et 60 et faisaient preuve de beaucoup plus d’audace que les blockbusters des 20 dernières années qui ne sont qu’adaptations de franchise ou suites. Les revivals des classiques de cet époque sont d’ailleurs une valeur sûre pour le box-office actuel et les projets dans cette lignée se multiplient encore.
Il y avait donc quelque chose dans la manière dont les jeunes cinéastes de l’époque envisageaient le cinéma et osaient autre chose. Inspiré par les réalisateurs iconoclastes des années 70 (la bande des barbus : Scorcese, De Palma, Lucas, Spielberg, mais aussi Kubrick, bien sûr), qui ont su casser les codes et faire évoluer le cinéma classique, cette nouvelle génération de cinéaste a carrément laisser tomber les codes pour faire uniquement ce qui les faisait marrer. Les interviews de Carpenter, de Dante ou encore de Larry Cohen démontre cet esprit iconoclaste si besoin est. Et épicurien, dans le genre salle gamin qui ricane dans son coin.
Weiner signe donc, au risque de me répéter, une véritable déclaration d’amour au cinéma, tout simplement, avec In Search of Darkness. Bien sûr, nous avons tous été marqué dans notre jeunesse par ses monstres sanguinolents, par ces mondes bizarres et angoissants que ces artistes nous proposaient (en renvoyant des extrait du Blob dans le reportage, j’ai compris pourquoi le film m’avait traumatisé à l’époque de mes 7-8 ans). Dans le tas, il y a au moins là un film qui vous a filer des cauchemars ou autres phobies inexplicables au regard de vos parents à l’époque (si je dis trois fois Candyman devant le miroir des toilettes au bureau, j’ai un collègue qui s’enfuie encore aujourd’hui en courant à cause de sa peur phobique des hyménoptères en tout genre… :-). Mais ces frayeurs nocturnes n’étaient pas que des facilités destinés à vous faire manger du pop-corn dans des multiplexes. Non, ces films découverts pour la plupart sur VHS étaient pour tout une génération de cinéphiles un vrai premier contact marquant avec le Cinéma. Avec un grand C. Chapeau bas à In Search of Darkness pour nous faire revivre ça, tout en étant fun et intéressant à la fois.
PS: Et la « suite » intitulée In Search of Tomorrow, consacrée quand à elle aux films de SF de la même décennie, vient d’être financée avec succès sur Kickstarter également. J’attends de pied ferme 2021 pour me jeter dessus !